
A l’aube de ses 40 ans, Aurélien Froment, dit Aurel, a su donner une place de choix à son coup de crayon dans le monde de la presse en tant que dessinateur. Connu et reconnu par de nombreux prix, il collabore avec de grands médias – Le Monde, Politis, Le Canard Enchaîné en tête – mais s’adonne également à des enquêtes journalistiques ou des BD, qu’elles soient politiques, à destination des enfants, d’auteurs ou d’artistes. Il participera à un café-presse sur la caricature d’aujourd’hui à la médiathèque André-Malraux, le 5 octobre prochain. Rencontre.
Comment devient-on dessinateur de presse ?
Parce qu’on en a envie ! J’étais parti sur des études longues (pour faire plaisir à mes parents), avec concours, dans la pharmacie. Faute d’avoir eu le concours, j’ai bifurqué dans un cursus court pour me lancer dans le dessin le plus tôt possible. Donc direction la biochimie jusqu’à ce que je puisse l’abandonner et dessiner ! J’ai toujours été fasciné par le journalisme, la politique et le dessin. Sauf que, avoir le dessin dans le sang, cela ne fait pas tout. Entre le loisir d’enfant, le hobby d’ado et le fait d’en faire en métier, ce sont des choses bien différentes. J’ai coché toutes les cases. Le plus grand saut étant celui d’en faire mon métier. J’ai commencé par des fanzines et fait mes premiers pas dans la « vraie presse sérieuse et payante » en 2001, dans un quotidien de la région, L’Hérault du Jour. J’ai été formé sur le tas.Comment êtes-vous parvenu à être publié dans les colonnes des pointures comme le Monde, Le Canard enchaîné ou Marianne ?
D’abord, je n’ai corrompu personne ! Cela demande beaucoup de travail, de réseaux, non pas pour avoir du piston mais pour pouvoir rencontrer les bonnes personnes, celles qui décident ou celles qui peuvent vous donner l’opportunité de rentrer dans le milieu. Par exemple, en tant que fan de Charlie Hebdo où je passais beaucoup de temps – sans y travailler -, je traînais toujours dans les pattes de Tignous et c’est grâce à lui que j’ai pu intégrer Marianne (avec lequel je ne collabore plus depuis quelque temps). Concernant Le Monde, j’ai poussé la porte du directeur artistique et présenté mes dessins il y a douze ans. J’y suis resté. Avec quelques dessins au départ, puis cela s’est intensifié. Il faut aussi savoir saisir des opportunités, bien faire le job. Enfin, pour Le Canard enchaîné, c’est en raison de la triste actualité des attentats de Charlie et la mort de Cabu. Cela a demandé un travail supplémentaire pour Le Canard que les dessinateurs qui, bossant déjà dur, ne pouvaient plus entièrement assumer. J’ai été contacté par l’un d’eux, René Pétillon, qui connaissait mon coup de crayon et m’a demandé de leur filer un coup de main pour « faire ce que je savais faire », à savoir illustrer des articles. J’y suis depuis quatre ans. C’est un Ovni de la presse : familial, petite équipe, je me régale.En parallèle, vous réalisez des BD pour des artistes ou sur des sujets politiques ou encore des reportages graphiques.
Dès que je peux allier mes passions, je le fais. La musique en est une. J’ai commencé par BD Jazz il y a quinze ans alors que j’étais à peine dessinateur de presse. Au départ, je ne m’en sentais pas capable mais la BD m’a rattrapé. Aujourd’hui, c’est un medium qui m’intéresse beaucoup pour raconter des choses différentes de celles que j’ai la chance de pouvoir faire en dessin de presse. Quant aux reportages graphiques, c’est une autre forme d’expression du travail de journaliste-dessinateur, un peu sous-exploité selon moi, qui me plaît énormément.Qu’est-ce que le dessin de presse vous permet de dire que d’autres formes d’expression ne peuvent pas ?
Il y a une tolérance à la caricature et au sarcasme que n’ont pas les rédacteurs dans les formes plus conventionnelles du journalisme. On peut se permettre de dire des choses en dessin qui ne le seraient pas dans les articles. Au Monde par exemple, le dessin me donne l’occasion d’exprimer ce qu’il faut lire entre les lignes, c’est-à-dire ce que les journalistes ne peuvent pas écrire dans son article. Cette complémentarité avec eux est très intéressante. Mon travail est aussi, sans prétention, de créer des entrées de lecture, d’aider à la compréhension, on est là pour attirer le chaland et lui dire « Viens lire en dessous », car rien ne vaut un bon article.
Dessinateur de presse (et de BD à ses heures…), reporter, réalisateur : Aurel a plus d’une couleur dans sa palette. (Céline Escolano)